Il y a des choses qui sont sans doute de l’ordre de l’indescriptible. La passion, l’amour, la pensée. L’immense Blaise Pascal nous a ouvert les yeux sur ces trois notions mais peut-être pas complètement. Il reste d’ailleurs très difficile de ne pas les refermer tant elles nous éblouissent et risquent de nous rendre aveugles.
Moi : « Lire La Divine comédie, c’est comme regarder le soleil, ça me fatigue très rapidement » disait Joyce.
Tiens, tiens… encore une histoire de passion, de pensée et d’amour difficile à soutenir même pour une des plus grandes intelligences ayant jamais existé : pensée, passion et amour de Dieu, de l’art, de la langue, de Béatrice, de la politique, de l’Homme, de l’Italie, du monde…
Moi : Mais cessons d’être pédants, que diable !
Oui, pauvre petit rat de bibliothèque, il y a peut-être des gens qui savent mieux que toi, qui savent l’incarner, sans passer par tout ce verbiage incompréhensible...
Moi : Qui ?
Mais les comédiens voyons…
Moi : Tous ?
J’aimerais bien pouvoir le dire mais…
Moi : Non !
Euh… Oui…
Moi : Il y en a une en tout cas… Je l’ai vue, samedi dernier… Elle s’appelle Ada d’Albon. Dans Savannah Bay, la pièce de Marguerite Duras. C’était de l’émotion à l’état brut.
Comme de la matière…
Moi : Mais tais-toi donc, c’est moi qui raconte !
Moi bis : Oui, comme de la matière, en effet, guidée par une petite conscience blonde, immatérielle, elle, et qui s’appelle Raphaëlle Guidonnet
Mais on ne peut pas être blonde et immatérielle, voyons !
Moi : Ferme ta bouche ! Oui, blonde, immatérielle, une petite fée bleue un peu espiègle et qui a emmené notre Ada très loin en dehors d’elle-même.
A Oulan-bator ?
Moi : Très drôle… Très loin, ça veut dire vers un ailleurs inexploré, sans frontières, vers ce ou ceux qu’elle aime le plus. Et s’il y a une chose dont je suis sûr, c’est qu’elle sait aimer, Ada.
Et que dire de l’Amante anglaise, de la même Marguerite Duras, qui a suivi Savannah Bay de la même Marguerite Duras, Ada était assise sur une chaise rouge, questionnée par le trublion Gowen Pottiez.
Moi : Et Gowen Pottiez, c’est plutôt fort, je dois dire…
Oui, très fort, évidemment mais revenons à Ada, elle était tout à la fois, le cœur, la raison, le cœur que la raison connaît et ne connaît pas. Elle passait de l’un à l’autre en une fraction de seconde sans jamais sortir de la route qu’elle avait choisie de prendre. Elle était la pensée incarnée en somme.
Moi : Pfff… encore Pascal.
Oui, il y avait tout Pascal, le philosophe de la pensée, chez Ada. D’ailleurs comme elle le dit, si souvent, l’art du comédien, c’est l’art de penser.
Moi : Je crois bien que pour cette raison - l'incarnation de la pensée qui se manifeste si exceptionnellement dans la vie réelle -, le théâtre trouve tout son sens quand il est pratiqué avec autant de maîtrise.
Je suis d’accord avec Moi, enfin toi, mais tu voudrais pas remettre ton pantalon ?
Moi : Pourquoi ?
Parce que j’adore cette réplique et que je ne sais pas comment terminer. Allez, remets ton pantalon, Didi !
Moi : Petit snob…