Présentation d'Ada d'Albon
Personnellement je perçois la pièce d’Eugène Ionesco comme un texte réaliste. L’absurde habite l’être humain, les événements, la vie elle-même, et ce court chef d’œuvre est un concentré du mécanisme aberrant qui fait rouler l’existence.
La relation Professeur-Elève est basée sur une logique qui nous échappe, comme elle nous échappe dans toute autre relation de l’être à l’être.
Qui, en vérité, déclenche l’harmonie, qui déclenche la confusion, qui déclenche la destruction, si ce n’est pas la parole qui est l’élément le plus dévastateur ? Sans parole on suivrait les lois du monde animal où l’entente et le conflit obéissent à des lois bien déterminées. Dès que le mot intervient, l’être humain se déshumanise. On ne se comprend pas soi-même, alors comment comprendre l’autre. On s’oblige à obéir à des règles de politesse pour pouvoir mener un dialogue soi-disant cohérant et harmonieux. Un seul mot suffit pour ouvrir les portes de l’enfer, et voilà que du plus profond de l’être surgissent les sentiments les plus contradictoires dans un état extrême. Le désir charnel (le maître de l’homme) se mêle à la lubricité, au désir démesuré de domination, au désir du pouvoir, au mépris, à la haine, à l’impuissance et à l’orgueil, au manque cruel d’empathie, l’être devient vil et se noie dans la bassesse. Du très haut ce jeu de la nature paraît parfois ludique, parfois pitoyable. Un seul mot a la force d’écourter la vie. L’être humain, l’être social, par définition, est un être enfermé dans une solitude sombre et dangereuse qui le pousse à ressortir la lumière, mais malheureusement, trop souvent, cet être n’est poussé que par le désir, de posséder, de dominer, d’écarter tous les autres de son chemin, d’éliminer, de tuer et finalement son désir profond est d’être toujours seul mais au pic d’une pyramide.
Paradoxalement, cet être solitaire obéit plus que tout, à l’instinct qui appelle à la multiplication. Et quand cet instinct est conjugué à l’inhumain, le désir de tuer remplace l’amour.
Nous ne connaissons pas le mystère de l’existence, car les paroles ne peuvent pas expliquer l’abyme qui nous anime dès avant notre naissance jusqu’à la fin des temps.
C’est pour cela que je trouve le théâtre de Ionesco réaliste et que mon grand souci dans la mise en scène est justement de faire comprendre au public tout ce que je viens de dire, à travers le jeu des comédiens. Je ne désire pas une mise en scène fastueuse, habillée d’artifices extérieurs, mon travail se concentre sur l’interprétation de l’acteur. Tout ce que le comédien dit est le résultat de la vérité profonde qui gît dans chacun de nous. Ce n’est pas par fantaisie stérile que Le Professeur tue L’Elève et qu’il n’ose pas tué Marie. Le texte qui, au lecteur superficiel peut paraître incongru, est sans aucun doute le symbole de toutes les paroles dont le monde entier s’enivre depuis toujours.
La désharmonie du conflit théâtral doit s’exprimer par un rythme harmonieux. Les silences doivent être justifiés. Le monstrueux doit transcender.
C’est une fugue qui mène vers la mort (quoi de plus banal ?) où l’adagio et l’allegro se succèdent, marquant l’état d’esprit et d’âme des personnages et j’espère, révélant ainsi le message d’Eugen Ionesco.
A partir du mois de novembre. Dates et horraires à définir.
Avec Johannna Bouvarel, Iris Carpentier et Gowen Pottiez